Tome 3 – Écrits 1967-1968

Problèmes du Nouveau Roman
et autres écrits 1967-1968

Ce troisième tome de l’Intégrale Jean Ricardou couvre des années d’intense travail théorique, notamment avec la participation au comité de rédaction de la revue Tel Quel. C’est d’ailleurs dans la collection “Tel Quel”, aux éditions du Seuil, que paraît, en 1967, Problèmes du Nouveau Roman, premier recueil d’articles qui assoit la notoriété de Jean Ricardou.

Pour présenter cet ouvrage, il écrivait :

Remaniés depuis leur parution en diverses revues, les textes rassemblés ici apportent, à l’opposé de toute manœuvre de récupération réaliste ou psychologiste, une contribution théorique essentielle aux nouvelles recherches romanesques.

A propos de Butor, Ollier, Robbe-Grillet, Simon, Sollers (et parfois Borges, Novalis, Poe et Proust) Jean Ricardou étudie notamment, en romancier, les problèmes posés par la description créatrice, la métaphore structurelle, la construction, et consacre deux chapitres aux relations du roman et du cinéma. Une observation attentive des textes lui permet de préciser en outre le rapport dialectique qu’entretiennent narration et fiction, la fiction asservissant beaucoup moins la narration qu’elle n’en est tributaire, et s’efforçant dès lors, à revers, allusivement, de la contester en la racontant.

Autour de cette parution gravitent plusieurs autres écrits importants, réunis dans ce volume, qu’il s’agisse de fiction, comme “Page blanche”, ou d’interventions théoriques, telles que “Fonction critique”. Dans ce texte fondamental, Jean Ricardou expose ce qui constitue pour lui le véritable fonctionnement politique de la littérature, un fonctionnement que l’introduction de Marc Avelot permet de bien situer dans l’évolution de la pensée de Jean Ricardou.

 Extrait de l’introduction

Loin de toute désertion du terrain politique, l’entreprise ricardolienne s’inscrit dans un véritable projet révolutionnaire.

Sans doute la révolution visée ne correspond-t-elle pas à la conception, léniniste, d’une prise du pouvoir, mais bien plutôt à l’idée inverse d’une destitution du pouvoir. Elle ne se développe pas sur le terrain des rapports de forces, en dernier ressort physiques, mais sur le terrain idéologique où elle consiste prin­cipalement à mettre en procès tous les dispositifs conceptuels qui, à l’instar de l’Expression-Représentation, concourent à la domination d’idées proprement “aveuglantes” en ceci qu’elles empêchent la saisie des pratiques réelles, et en bloquent ainsi l’accès.

Dans cette perspective, la leçon ricardolienne est que seul un exercice résolument métareprésentatif (c’est-à-dire un exercice qui permet que fasse organiquement retour dans le texte ce que la représentation, pour advenir, nécessairement destitue) de l’écriture est susceptible d’atteindre le rôle proprement politique de “la littérature en tant que telle“.

Ce rôle tient dans une double fonction.

D’une part, une fonction critique que détaille, dans ce volume, l’article éponyme: il montre comment la littérature est capable de tout à la fois dissiper les mirages du visible et de l’imagination, de déjouer les pièges de ces “langages coercitifs“ que sont la publicité et la propagande, ou de débusquer le rôle idéologique de l’institution universitaire mais non moins de la… littérature elle-même.

D’autre part, une fonction prospective qui réside dans la capacité de l’écriture à mettre en œuvre, noir sur blanc, expérimentations innovantes et alternatives, sur le plan sémiotique, dont les enseignements sont potentiellement valables dans la sphère des rapports sociaux.

Que ces expérimentations consistent essentiellement dans la production de montages anti-hiérarchiques et que leur terrain de prédilection soit celui d’une contestation de cet “appareil autoritaire” qu’est le texte, voilà qui explique la congruence historique avec l’anti-autoritarisme de Mai 1968.

Cette connivence réelle ne doit cependant pas dissimuler une profonde divergence des stratégies.

En effet, tandis que Mai 68 a, pour une large part, consisté en un appel à la destruction des règles, la démarche préconisée par Jean Ricardou consiste au contraire à passer par une surstructuration des règles.

Cette propension de Mai 68 à privilégier la contestation “par le bas” plutôt que “par le haut” procède de ce que ce moment a été porté par un esprit tout empreint de “Romantisme”, et volontiers anarchisant, qui considère toute règle comme un carcan et assimile dès lors toute dérégulation à une libération.

Ce n’est d’ailleurs pas sans un certain courage qu’en pleine apothéose estudiantine, le jeune instituteur se permet de pointer la complicité fonda­mentale de ce romantisme et de l’enseignement universitaire pourtant conspué:

“Hélas le romantique désir de s’exprimer, loin de s’opposer à l’enseignement archaïque, est son parfait complémentaire. Au cours magistral, en lequel une Vérité est censée remplir l’esprit d’un auditoire, correspond exactement l’idée d’expression par laquelle (comme on exprime le jus d’un citron) l’esprit se vide de son contenu. Réussir à l’examen c’est précisément, semble-t-il, établir une concordance : savoir se vider de ce dont on a été rempli. Dans les exigences étudiantes, c’est l’Autorité et ses coercitions qui sont surtout mises en cause, non pas encore, fondamentalement, le principe réactionnaire par lequel les travaux du texte sont occultés. Sauf constant recours aux vertus critiques de la littérature, il est difficile, à des esprits façonnés par un enseignement bourgeois, de s’arracher aux dogmes qu’ils tentent de combattre.“

Que ce soit cette idéologie “réactionnaire“ et un tantinet démagogique qui l’ait finalement emporté, c’est ce que démontre à l’envi un certain “retour du sujet” que pointait Jean Ricardou à la fin de sa vie. Un double retour en quelque façon puisque revient:

“non seulement le “sujet” comme individu (dont l’apparente singularité dissimule les manœuvres communes de la représen­tation), sensible avec la crue d’un individualisme débridé, mais encore le “sujet” comme thème (dont l’abusive prestance offre une spéciale vigueur à ce qui n’est qu’un effet de la Représen­tation), sensible avec le présent enthousiasme pour ce qu’il est convenu de nommer l’Histoire.“

Il notait non sans perspicacité que ces deux penchants avaient d’ailleurs assuré naguère leur jonction dans le domaine littéraire avec le remarquable engouement actuel pour l’auto-fiction.

Bref, à quelque cinquante ans du moment où les textes rassemblés ici ont été écrits, il est hélas permis de penser que tout s’est passé comme si, après un moment faste mais finalement assez court, la “modernité” – entendue comme la mise en cause de la Représentation – avait sombré.

Ce phénomène – dont l’oubli du Nouveau Roman fait symptôme –, Jean Ricardou le comparait à une manière de subduction : toute une époque se serait ainsi enfoncée sous une autre – l’anti-représentation sous l’académisme – cependant que l’œuvre accomplie perdurant, il y aurait de temps à autre, comme dans l’histoire géologique terrestre, des poussées.

Ce travail accompli est notamment celui que le lecteur pourra mesurer en lisant les pages qui suivent.

Nous sommes assis sur un volcan.

 

Table des matières

Problèmes du Nouveau Roman

Écrits

Sur une erreur de Bachelard

Cet espace devenu poème

Textes mis en scène

Page blanche (nouvelle)

L’or du scarabée

Fonction critique

Confrontations

Qu’est-ce que le nouveau roman?

Roman nouveau plutôt que « nouveau roman »

Format (en mm) : 170 x 240
Présentation : Broché
Nombre de pages : 296

ISBN : 978-2-87449-645-5

Prix public TTC : 24 euros

Couverture - Problèmes du Nouveau Roman 1967 - 1968
portrait Jean Ricardou - integrale 3