Carnet de textique n° 4 L’invitation à récrire

Ce carnet présente une fiche du Cortext (Cercle Ouvert de Recherche en TEXTique), proposée durant la session 2003-2004 (en date du 13 novembre 2003, avec la cote C(03-04)-JR(4)) et portant sur L’invitation au voyage, poème qui figure dans Les Fleurs du mal de Charles Baudelaire.

Il s’agit de faire écho à l’initiative d’un participant au 15ème séminaire de textique, en août 2003, qui, découvrant l’intérêt marqué par la discipline pour les essais de récriture, avait lui-même tenté l’expérience sur la première strophe du poème indiqué ci-dessus et avait transmis la version remaniée à l’animateur de la rencontre, Jean Ricardou.

Dès lors ce dernier, au cours des mois suivants, s’est appliqué à l’examen de cette récriture, tout en saisissant l’occasion pour tâcher d’éclaircir certains points de théorie concernant l’analyse des écrits et les principes à respecter dans leur éventuelle transformation.

De la sorte l’attention manifestée envers l’apport d’un novice, qui avait d’ailleurs choisi de s’inscrire au Cortext, a été le déclencheur d’une étude fouillée, mobilisant, à propos d’un poème célèbre, les outils conceptuels de la textique.

La lecture du carnet montre à l’évidence que ces instruments d’observation permettent d’éclairer dans un écrit des complexités qu’une approche dépourvue de tels atouts n’est pas conduite à discerner.

Pour détailler les subtils agencements du poème, tout en menant une réflexion approfondie sur la méthode heuristique, un abondant vocabulaire propre à la discipline est requis, exigeant parfois une attention très soutenue. Aussi, pour qui n’a pas de la textique une connaissance préalable, le grand nombre des concepts analytiques mobilisés peut-il rendre difficiles à suivre certains enchaînements de la démonstration.

C’est que, dans ce travail, Jean Ricardou n’a pas eu recours aux procédures de l’écrit bizoné, dont les carnets 1 et 2 offrent des exemples de mise en œuvre, partageant la rédaction en deux sortes de zones, celles qui, rédigées en langage ordinaire, présentent aussi simplement que possible les résultats de l’observation, et celles qui, faisant appel à un vocabulaire spécialement forgé, inscrivent ces repérages dans le cadre de la théorie, ce qui assure une généralisation des phénomènes et une intellection plus poussée de leurs mécanismes.

Cependant, pour l’essentiel, l’analyse du poème étudié ainsi que l’examen de ses rapports avec d’autres pièces avoisinantes dans Les Fleurs du mal sont accessibles sans avoir forcément à se familiariser avec les spécifications les plus fines des structures observées : un parcours sélectif du document, qui s’efforce de saisir les principales articulations de l’enquête, peut laisser de côté les développements les plus pointus, en particulier les « NB« , en général voués à renchérir sur la minutie de l’approche.

Au demeurant la logique rigoureuse qui préside au déroulement de la recherche comme aux raisonnements sur la démarche suivie aide à ne pas perdre le fil du propos. Mais elle ne dispense pas pour autant d’une persévérante concentration.

C’est que l’exposé, loin de s’en tenir à la description d’agencements particuliers dans L’invitation au voyage, développe une réflexion plus globale à propos des mécanismes en jeu. De fait, selon la textique, parvenir à une appréciation motivée de la strophe récrite exige au préalable une observation suffisamment fine de la version originelle, ce qui ne va pas sans mobiliser divers pans de la théorie.

Car le processus de transformation ne saurait se fonder sur des choix arbitraires, résultant de préférences qui échappent à la logique de l’écrit visé. Aussi la validité des changements effectués est-elle conditionnée par un strict respect de l’ordonnance initiale, qui détermine toute éventuelle amélioration comme un renfort de cohérence. Telle est la perspective de l’accomplissement désigné par l’acronyme RAPT (Récrit Avisé Par la Textique). Dès lors les efforts d’aménagement ne sauraient porter que sur des constituants qui enfreignent les dispositifs repérables ou les laissent inaboutis. C’est sur cette base que doivent être évaluées les modifications introduites, qu’elles influent sur l’ordonnance des composants matériels ou infléchissent la tonalité de la représentation.

Voilà pourquoi le questionnement sur la pertinence des transformations envisagées ne trouve place qu’à la suite d’une enquête sur la structuration de la strophe, en particulier l’agencement de ses rimes, avec les effets sémantiques indirects qu’il est susceptible de produire. Ensuite le champ d’investigation s’élargit aux liens qui rattachent le poème, dans l’ouvrage qui l’intègre, à toute une série d’autres pièces, avec les problèmes de disposition que suscitent leurs divers points de ressemblance. Pour finir le bilan de la récriture proposée est accompagné d’autres perspectives de modifications, adaptées aux résultats de l’étude.

Bref deux pistes se succèdent, qui visent respectivement le strict domaine de l’écrit considéré, ou intrascrit, puis ses rapports à des écrits associés, ou interscrit. Pour les explorer la recherche s’appuie sur des travaux théoriques antérieurs. De la sorte l’examen spécifique d’un objet, dont l’analyse éclaire à mesure l’ordonnance, est conjugué avec une vue d’ensemble, dont il n’est pas inutile de résumer, à propos de l’une et l’autre étape, les enjeux et les applications.

  • Quant à l’intrascrit, le poème étudié en la circonstance offrait à Jean Ricardou l’opportunité de prolonger des investigations divulguées au printemps précédent grâce à une fiche qui s’intitulait À fond la rime (en date du 22 avril 2003, avec la cote C(02-03)-JR(18)). Il y examinait les mécanismes selon lesquels les communs segments, sonores et littéraux, qui terminent des vers ne se bornent pas toujours à faire transparaître leur similitude matérielle, mais le cas échéant parviennent à suggérer, même de façon diffuse, quelque idée.

En effet, lorsque la séquence partagée coïncide, pour l’un des vers, avec un mot entier, la valeur sémantique de celui-ci tend à se projeter sur le terme qui porte la rime dans l’autre vers ; et lorsque la séquence correspond à un mot isolable comme un fragment des termes qui portent la rime dans l’un et l’autre vers, la valeur sémantique de celui-ci tend à s’additionner à la leçon respective des deux passages. Dans chacun de ces cas, l’agencement du texte fait affleurer, si discret que soit le phénomène, des vocables aptes à renforcer ou nuancer la représentation immédiate, telle qu’elle se déroule au fil des phrases dont est constitué le poème. Un tel surplus, comme il n’est accessible que par le contrecoup d’une structuration indépendante, reçoit le nom d’extrareprésentation.

La marquante ressemblance des rimes, conjointe avec l’occupation d’emplacements analogues, en attirant l’attention, aide à y opérer la découpe de mots sous-jacents, qui donnent alors l’impression d’une parenté lexicale avec ceux qui les englobent. Certes un tel lien ne relève pas d’une étymologie inhérente à la langue, mais d’une dérivation spécifique, résultant de la structure textuelle intrinsèque à l’écrit concerné, si bien qu’elle reçoit le nom d’étymographie.

Ce fonctionnement est discernable dès le début de L’invitation au voyage, puisque toutes les sonorités du nom placé à la rime dans le v. 1 sont reprises dans la fin de son correspondant au v. 2, ce qui induit entre les deux mots une affinité d’évocations. Il se retrouve, selon la seconde sorte de rapport décrite ci-dessus, avec la rime des v. 3 et 6, détachant dans les deux termes impliqués une forme verbale, dont la teneur relativise la portée de chacun.

Bien entendu les effets extrareprésentatifs de ce genre, comme ils viennent se greffer sur le cours direct de la représentation, ne sauraient sans la perturber être en décalage avec elle. Par suite leur adéquation dépend de leur compatibilité avec la leçon de l’écrit, qu’ils apportent un renforcement, un contraste ou une variation de tonalité. Si tel n’est pas le cas, afin de remédier au léger trouble que suscitent, dès lors qu’elles sont repérées par la lecture, des associations incongrues, une tentative de RAPT semble tout indiquée.

Au demeurant les retombées idéelles discernables dans les rimes ne se limitent pas aux recoupements assez amples pour inclure des mots complets. En effet, lorsque la teneur du passage s’y prête, le retour de segments plus réduits peut également projeter un éclairage particulier sur les termes associés. En quelque sorte des séries de sonorités, conciliables avec une solidarité idéelle, se détachent à la fin des vers, se révélant aptes à jouer, en quelque sorte, le rôle de suffixes communs, qui là encore ne sont pas inhérents au domaine linguistique, mais découlent d’une construction textuelle. L’effet de raccourci, permettant qu’une brève séquence se trouve investie, au même titre qu’un lexème, d’un sémantisme implicite, reçoit le nom de condensat représentatif.

Cependant, pour ce genre d’occurrences, l’effectivité de l’extrareprésentation, tributaire de la teneur idéelle environnante, est délicate à établir : le risque d’une lecture forcée, qui, selon une projection interprétative, accorderait à telle série de sons une valeur artificielle, doit être prévenu grâce à une analyse rigoureuse, enchaînant sans faille les étapes, de manière à dégager une cohérence d’agencements qui justifie l’assignation d’une portée subliminale à d’infimes composants.

Jean Ricardou s’est employé à une telle enquête sur la première strophe de L’invitation au voyage avec une maîtrise impressionnante des articulations démonstratives. Ce faisant il parvient à montrer qu’une simple sonorité, dans la mesure où elle participe à un ensemble de rimes, est capable de déterminer un commun effet extrareprésentatif.

La logique de son raisonnement consiste à dériver le mécanisme à l’œuvre de celui qui gouverne la rime. Si le principe de cette dernière est de manifester son dispositif matériel grâce au couplage de rapports remarquables entre des formes et des places, selon ce que la textique appelle une exaltation (nommée trasnparition à l’époque de la fiche), la récurrence d’un élément à l’intérieur de plusieurs rimes installe, dans le cadre même de l’exaltation, une exaltation au second degré, qui pourrait être appelée surexaltation (dans le carnet, elle est nommée surtransparition). C’est un tel fonctionnement qui autorise à envisager la perceptibilité, grâce à une lecture construite, d’un dispositif aussi ténu. Dès lors l’implicitation d’un effet représentatif additionnel est susceptible d’être déduite selon une démarche semblable à celle qui est en jeu pour des mots incorporés dans les rimes.

Débordant ces dernières, devient concevable, pour les mêmes composants, une dissémination réglée dans l’espace de l’écrit, désignée comme un « ensemencement », propre à étendre le domaine de l’extrareprésentation. Cependant le déploiement de cette structuration complexe entraîne le risque, pour l’éventuelle tonalité qui se diffuse en filigrane sur tout un passage, d’entrer en conflit, à tel ou tel endroit, avec la représentation immédiate. Il appartient à l’analyse de discerner ce genre de distorsions auxquelles la récriture est susceptible de remédier.

Au bout du compte, le balayage de la strophe, offrant des repérages successifs étayés par des aperçus théoriques, permet d’apprécier les gains qu’occasionne la minutie de la démarche propre à la textique, à la fois pour détailler les structures les plus fines d’un écrit et pour rendre intelligibles les phénomènes décelés. Au terme du parcours se dégage, sur l’ensemble des douze vers, une distribution organisée de plusieurs sonorités, qu’il est possible de relier avec une évolution sémantique globale.

Alors le stade atteint par la recherche conduit à soulever une cruciale question de méthode : un point d’arrêt s’impose-t-il à la sophistication de l’analyse, continuellement relancée, ou bien sa progression depuis les occurrences les plus manifestes jusqu’aux éléments les plus minimes doit-elle se poursuivre aussi longtemps que peuvent être discernées des connexions nouvelles avec les structures précédemment établies ?

Jean Ricardou ne fixe pas de limite absolue : l’aptitude à fonder l’élucidation sur des arguments probants autorise la poursuite des investigations, selon une perspective ouverte dont témoigne une formule récurrente : « il se pourrait bien que l’on pût lire un peu davantage ».

Certes, si l’accent mis sur des particularités très enfouies de l’écrit ne laisse pas d’être bien des fois éclairant, il peut dans d’autres cas encourir le reproche de privilégier certaines composantes, au risque de masquer des agencements d’ensemble en sélectionnant les aspects capables d’accréditer les repérages. Alors le raffinement de l’observation aboutit à une lecture forcée. C’est pourquoi l’exposé manifeste le soin constant de s’en prémunir, tout en reconnaissant que tel diagnostic, issu d’une démonstration contournée, peut sembler « byzantin ».

En tout état de cause l’exploration réalisée, forte des outils conceptuels disponibles et de ceux qu’elle a fabriqués en complément, selon les besoins de la réflexion, fait ressortir la grande complexité de la strophe observée. Elle montre comment les divers effets extrareprésentatifs décelés à mesure parviennent à se combiner en un réseau de corrélations, avec l’appui d’une distribution échelonnée dans l’espace de l’écrit, jusqu’à faire émerger un « maître-mot », dont le rôle décisif est fondé tant sur le nombre supérieur de ses liaisons avec les autres composantes que sur la « position stratégique » où il se trouve.

Une fois mis ce point d’orgue à l’entreprise analytique, l’étude s’attache de nouveau à la tentative de remaniement d’où elle est partie, non sans se référer aux principes du RAPT, qui doit toujours se baser sur un « programme de récriture » raisonné.

Or l’examen successif des modifications introduites montre qu’elles entraînent pour la plupart une atténuation voire une perturbation du dispositif patiemment détecté dans la strophe originelle. Ainsi, faute d’un suffisant recul théorique et d’une observation assez minutieuse, l’élan spontané qui a présidé aux retouches du texte tend à en restreindre la densité structurale.

Cependant une exception ressort parmi les retentissements négatifs, mais qui ne laisse apprécier tout son intérêt qu’à l’issue des soigneux repérages effectués, un changement d’adjectif dans le v. 11, dont l’aptitude à renforcer le dispositif peut désormais être explicitée.

En définitive la confrontation de la récriture et de l’original amène à s’interroger sur les liens de certains détails avec le reste du poème et, au-delà, avec différentes pièces des Fleurs du mal. Aussi l’étude doit-elle élargir ses perspectives, passant de l’intrascrit au second domaine annoncé plus haut, celui de l‘interscrit.

  • Quant à l’interscrit, rapprocher d’autres poèmes du texte étudié offrait à Jean Ricardou l’opportunité de mettre en œuvre ses recherches en cours, dans le cadre de la textique, sur la typologie des associations possibles entre divers écrits et la spécification des structures résultantes. Il rappelle en particulier que des recoupements sont accessibles à une lecture construite quand les éléments de l’interscrit se trouvent assignés à des positions fixes, constituant alors ce qui est nommé un corpus, comme c’est le cas pour Les Fleurs du mal. En effet le repérage d’éventuelles correspondances entre eux n’est pas entravé par une incertitude à propos de leurs emplacements respectifs.

Mais la découverte de ressemblances entre certains composants du corpus ne suffit pas pour établir qu’ils sont intégrés dans une organisation cohérente. En effet le retour de segments communs ou analogues à des endroits quelconques, même s’il est détectable par une recherche mécanique, que peuvent effectuer des ordinateurs, ne ressort pas comme tel. En effet, pour nombre de termes courants, la récurrence d’un écrit à d’autres est un phénomène ordinaire. Et même pour des vocables plus rares, le constat de leur présence commune, faute d’un rapport spécial dans leur localisation, ne paraît guère susceptible d’apparier des écrits. Ainsi la mention de deux mots qui figurent à la fois dans L’invitation au voyage et dans le sonnet qui a pour titre Correspondances, étant donné que les deux poèmes, très distants l’un de l’autre, n’occupent pas de place remarquable dans Les Fleurs du mal, constitue un recoupement trop ténu pour offrir la base d’une transparition interscriptive.

Privilégier ce type de corrélations revient à utiliser le corpus envisagé comme une sorte de réservoir, où tous les rapprochements sont admissibles mais, comme ils n’appartiennent à aucun agencement distinctif, sont déterminés par les choix de l’observateur. Du même coup, en privilégiant la récurrence comme support d’une interprétation, cette approche, que met en œuvre la critique appelée thématique, s’attache à des leçons idéelles immédiates et atomise les écrits, négligeant du même coup les constructions particulières établies entre eux et les effets extrareprésentatifs que celles-ci ont la capacité de produire.

Or les similitudes entre les composants de l’interscrit se manifestent à une lecture attentive, d’autant mieux que les écrits qui les intègrent occupent des emplacements corrélés. Ainsi une correspondance notable peut être établie sans peine entre la première strophe de L’invitation au voyage et Ciel brouillé, situé un peu avant : la formule du second titre, reprise dans le cours des vers, se retrouve au pluriel dans le poème qu’étudie spécialement le carnet.

Alors, conjuguée à la proximité des deux écrits, la netteté de l’écho installe entre eux une connexion particulière. Selon un prolongement logique l’observation est incitée à chercher dans quelle mesure les deux poèmes intercalaires confortent ce rapport ou s’en démarquent. En effet, pour la portion concernée du corpus, à moins que des organisations distinctes se partagent l’ensemble, la perspective d’un agencement régulier se profile.

Cependant c’est un cumul de corrélations diverses que, de fil en aiguille, l’analyse met en évidence : à l’issue d’un repérage progressif, des liens se révèlent, selon plusieurs groupements qui englobent toute une série de poèmes, les six pièces précédant et les six suivant L’invitation au voyage.

Cet afflux de ressemblances combinées, parfois frappantes, conduit à une appréhension renouvelée des Fleurs du mal comme une réunion organisée d’écrits, qui laisse attendre, au-delà des simples récurrences verbales, une architecture dont il reste à observer si elle observe des principes d’agencement qui s’appliquent de façon conséquente.

Or un examen plus poussé des différentes similitudes montre que, si toutes contribuent à structurer globalement la séquence selon des liaisons entre écrits proches voire attenants, leur distribution à l’intérieur des poèmes se révèle tout à fait irrégulière, tandis que leur répartition entre les poèmes s’accomplit de manière désordonnée.

Un tel repérage suscite un genre de formulation usité en textique pour caractériser un dispositif clairement mais imparfaitement installé : « Les Fleurs du mal en font, soit un peu trop, soit un peu trop peu ». C’est-à-dire que d’indéniables correspondances entre les composantes du corpus attirent l’attention et engagent ainsi la lecture à suivre des pistes qui s’avèrent finalement des impasses.

Donc, c’est à envisager un remaniement guidé par une logique plus conséquente qu’invite l’exploration partielle du corpus : le programme de récriture consiste d’abord à soustraire de la série les poèmes qui lui sont le moins solidement rattachés, en promouvant ainsi la parenté des autres, puis à réordonner les sept pièces restantes, de telle façon qu’adviennent en contiguïté celles qui offrent les ressemblances les plus nettes, L’invitation au voyage venant couronner le tout.

Alors l’échelonnement d’échos obtenu donnerait à lire, dans la première strophe de ce poème, comme un effet de l’interscrit, qui outrepasse la représentation immédiate, dérivant de l’inscription effective « …tes traîtres yeux / Brillant à travers… », un raccourci en filigrane : « tes yeux verts« .

À l’issue de la seconde étape analytique, portant sur l’interscrit, s’imposent à la récriture des exigences nouvelles pour ne pas contrevenir à l’organisation de l’écrit, dans une perspective qui, à partir d’une strophe, s’est étendue à l’ensemble du poème ainsi qu’à ses voisins dans Les Fleurs du mal. Aussi est-il à prévoir que, sous l’angle de la textique, la presque totalité des interventions constituant la récriture examinée dans les douze premiers vers soit rendue contestable.

De fait le bilan final montre que les voies empruntées pour remanier l’écrit se heurtent à des objections structurales, auxquelles seul échappe le substitut proposé, comme il a été indiqué, dans le v. 11.

Invité par Jean Ricardou à fournir, s’il le souhaitait, une réplique et à défendre la solution qu’il préconisait, l’initiateur de l’invitation à récrire s’est abstenu de relancer un débat qui dépassait probablement ses attentes. Du reste, dès l’année suivante, il a quitté le groupe du Cortext et ne s’est plus, semble-t-il, occupé de textique.

Cependant, suivant les principes de cette discipline, une fois terminé l’examen de la récriture en cause, la recherche ne devait pas s’en tenir là. En effet, comme elle avait au passage mis au jour, dans le début de L’invitation au voyage, certaines imperfections ou incomplétudes, c’est à un programme débouchant sur un RAPT qu’elle se devait d’aboutir, exigence que s’applique à satisfaire l’ultime section du carnet.

Il n’est pas indispensable de souscrire à tous les choix retenus dans la tentative de remédier aux anicroches diagnostiqués au cours de l’analyse pour apprécier l’intérêt d’une démarche qui a fait saillir dans le texte maints aspects inédits, tout en menant, sur la conduite de l’enquête, une réflexion serrée.

Du reste le RAPT ne se prétend aucunement définitif : il est présenté à la fois comme discutable et comme partiel, puisqu’il ne prend en compte ni l’ensemble du poème, ni les enjeux de ses corrélations avec d’autres pièces dans Les Fleurs du mal : poursuivre sur cette voie risquait d’exiger un développement démesuré.

Il s’agit là d’un projet de travail ultérieur que Jean Ricardou évoque, dans l’ultime alinéa de son étude, comme une tâche dont il présume qu’il n’aura guère le loisir de s’acquitter… sauf à envisager, non sans humour, le temps disponible d’une existence ultérieure ! Dans cette évocation du posthume qui, plusieurs années après sa mort, résonne d’autre manière, il est possible de trouver une invite à se lancer pour les continuateurs qui en auraient le courage et les compétences.