Carnet de textique n° 7 : Astérisques et périls

Ce carnet reprend une contribution pour le 25ème Séminaire de Textique (qui s’est tenu à Cerisy-la-Salle, du 5 au 15 août 2013 et s’intitulait « Le souci du détail »). C’est une version remaniée qui est présentée, plus développée que l’originale, et dont certaines analyses ont été rectifiées.

L’étude est fondée sur le repérage dans Les Vanilliers d’une anomalie : l’omission d’un groupe de trois astérisques, agencement utilisé de façon régulière dans le roman pour marquer la frontière entre deux séquences narratives. Sur la base de ce constat, deux objectifs principaux ressortent : d’une part, afin d’éclairer l’emploi par la recherche des outils de pensée que fournit la textique, expérimenter un protocole d’exposition qui facilite autant que possible l’accès à la démarche, même pour un public non averti ; d’autre part mettre peu à peu en évidence, grâce à une enquête fertile en rebondissements, une complexité de structures dont l’apparente lacune remarquée d’abord s’avère offrir un indice.

De la sorte la détection d’une menue particularité, pour anodine et fortuite qu’elle paraisse, assimilable à une simple inconséquence dans la présentation d’un écrit, est le moteur d’une recherche produisant des résultats d’une ampleur imprévue, dès lors que l’analyse bénéficie d’une méthode adéquate, dont elle se doit de faire profiter au mieux lectrices et lecteurs. En l’occurrence l’exploration effectuée selon un trajet organisé, que la textique nomme structurodromie, montre à quel point il importe, pour accéder à certains dispositifs sophistiqués, de ne pas trop vite formuler un jugement négatif, l’infraction à une règle étant susceptible de manifester l’affleurement d’une ordonnance distincte.

Outre l’indication de ce principe heuristique, le début de l’exposé, en une phase préparatoire, explique la démarche adoptée pour offrir un aperçu de la théorie qui a guidé l’analyse, sans obliger ceux ou celles qu’intéresse la seule observation du roman à subir une initiation au vocabulaire conceptuel. La solution retenue se conforme pour l’essentiel à un dispositif élaboré par Jean Ricardou : un développement réparti sur deux zones, dont l’une, exempte de termes théoriques, reconstitue les étapes de l’enquête, en se contentant du langage usuel, tandis que l’autre, appelée technoscrit, explicite les concepts qui ont permis l’avancée de la réflexion.

Cependant l’organisation des technoscrits a été quelque peu modifiée, selon une tentative pour en rendre la lecture plus accessible et fructueuse. En effet il a semblé que ces zones, par souci de ne pas démesurément allonger le propos, se ramenaient en général à une énumération de termes techniques, accompagnés de leur définition, sans qu’il soit facile, à moins d’être déjà au courant, de saisir l’articulation des instruments ainsi regroupés ni le rôle qu’ils ont joué pour élucider les structures de l’écrit.

Par suite l’afflux de néologismes et la difficulté d’en apprécier la raison d’être risquent de décourager l’envie de s’informer chez les lectrices et les lecteurs qui se donnent la peine de parcourir ces développements mais n’y trouvent guère d’indications sur les gains intellectuels que procure l’appareil théorique.

Aussi une règle est-elle mise en avant pour la rédaction des technoscrits : montrer comment les concepts requis permettent une appréhension plus cohérente et plus précise de l’objet étudié. L’effort pour répondre à une telle exigence mobilise un quatuor d’opérations, réparties en rubriques successives : proposer un groupe de concepts nécessaires à l’examen en cours, donner la définition de chacun, expliquer l’éclairage qu’ils projettent sur les phénomènes observés, manifester leur pertinence par rapport aux caractéristiques de l’écrit analysé.

Ce parti-pris méthodologique a pour effet d’accroître consi-dérablement la taille des technoscrits, de sorte que l’étude se limite à quelques passages du livre, en tâchant de fournir une analyse assez précise pour ouvrir des pistes à une recherche ultérieure. Au demeurant choisir de s’interroger sur les particularités d’occurrences minimes et manifester entre elles tout un jeu d’interdépendances semble offrir à la lecture une voie d’accès pertinente pour aborder un roman dont les constructions très élaborées témoignent d’une stratégie d’écriture multipliant les échos et les analogies de tous ordres.