Jean Ricardou, Intégrale, t. 7, La révolution textuelle et autres écrits (1974-1977)
Les Impressions nouvelles, Bruxelles, 2021.
EAN13 : 9782874498848. – 488 p. – 24€
Information publiée le 20 mars 2021 par Université de Lausanne (source : Erica Freiberg)
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Le projet de réunir en volumes la totalité des écrits publiés par Jean Ricardou se poursuit aux Impressions Nouvelles, avec le tome 7 de l’Intégrale, qui couvre quatre années au cours desquelles aucun volume de l’écrivain n’était paru. C’est pourquoi son titre reprend celui d’un article, le premier à figurer dans ce recueil, et qui s’avère emblématique des travaux qui l’ont suivi.
Ainsi le livre est à l’enseigne de “la révolution textuelle” : c’est dire que son unité repose sur la prise en compte du bouleversement suscité par la production moderne de fictions, affranchie de la doxa expressive et réaliste ; les potentielles retombées de cette activité novatrice ne s’arrêtent pas à la littérature : parce qu’elle remet en cause certains aspects décisifs de l’idéologie qui soutient l’organisation sociale, elle possède l’aptitude à faire vaciller les bases de celle-ci.
Un enjeu corrélatif consiste à mieux cerner les ressorts de la textualité, en forgeant des instruments théoriques propres à déterminer les mécanismes spécifiques des écrits correspondants et les opérations d’écriture qui permettent de les produire.
Une telle entreprise constitue dans le travail mené par Jean Ricardou une étape décisive, témoignant d’une maturation issue de ses recherches sur le Nouveau Roman, dont la synthèse s’est amorcée avec le colloque de 1971 et poursuivie avec le volume éponyme de 1973, ouvrages respectivement repris dans les tomes 5 et 6 de l’Intégrale.
Désormais, c’est une phase de conceptualisation plus systématique et rigoureuse qui s’amorce, marquée d’emblée, avec « La révolution textuelle », par la mise au point d’un ensemble articulé de concepts, qui vise à déterminer les divers types d’élaborateurs, c’est-à-dire d’outils mobilisables dans la fabrique d’un récit fictionnel.
De la sorte le processus d’écriture repose sur une stratégie de production du sens, qui met aux commandes les propriétés du matériau verbal, à partir duquel sont construites des représentations, inversant ainsi la démarche traditionnelle, qui s’attache à la reproduction d’idées préalables, expression d’un ressenti personnel ou imitation de réalités, à partir desquelles s’établissent des énoncés.
Cette approche conduit à explorer plus systématiquement des œuvres contemporaines pour dégager, dans des articles très fouillés, certains fonctionnements généraux du récit, comme ceux de la réflexivité à partir d’Instantanés d’Alain Robbe-Grillet, ou ceux de la fragmentation et de la cohésion narratives à partir des Corps conducteurs de Claude Simon.
Elle implique non moins une conception radicalement nouvelle de l’écriture, comme une pratique dont le développement ne saurait s’accomplir sans le relais d’une réflexion théorique, alimentée par ses expérimentations et capable de les relancer. Ainsi le rôle de l’écrivain ne correspond plus à la figure de l’auteur, maître exclusif de ses inventions, guidé par sa subjectivité, mais à celle du scripteur, tributaire de facteurs matériels propres aux agencements des mots, qu’il manipule tout en s’interrogeant sur leurs propriétés, agent d’une production dont il ne contrôle pas a priori les effets et dont les développements transforment à mesure ses propres perspectives.
Le souci militant de diffuser une telle conception, qui mène au partage entre écrivains de réflexions et de procédés, à charge pour chacun de les mettre en œuvre distinctement, se concrétise dans les interventions de Jean Ricardou au cours des deux colloques dont il a été responsable durant la période concernée, sur les travaux de Claude Simon puis d’Alain Robbe-Grillet : les extraits des débats suffisent à montrer les résistances auxquelles il devait faire face.
Plus largement les dimensions heuristique et collective qu’il attribue à l’écriture le conduisent à promouvoir celle-ci comme l’outil de potentielles transformations sociales : impliquant les interactions continuelles entre pratique et théorie, elle remet en cause bien des présupposés, la séparation instituée entre le rôle des écrivains et celui des professeurs, plus largement la division sociale des tâches entre ceux qui exécutent et ceux qui conçoivent ; générant l’invention de manœuvres et de formules susceptibles d’être adoptées voire perfectionnées par autrui, elle disqualifie l’individualisme et l’attachement à la propriété, encouragés dans le système capitaliste par l’idéologie de la classe dominante.
Cette aspiration à transformer en profondeur la société conduit à des affinités avec le marxisme, sans entraîner pour autant l’adhésion : elle implique la conviction qu’un rôle décisif est dévolu à la pratique de l’écriture, narrative notamment, dont Jean Ricardou préconise la généralisation à tous les niveaux de l’enseignement et dont il prône une extension encore plus large, appelant de ses vœux à “écrire en masse”.
Paradoxalement la production fictionnelle de Jean Ricardou tient une place restreinte dans le volume, avec une courte nouvelle, « Enterrement d’une île ». Mais ce curieux récit, à la subtile complexité, sous les dehors de circonstances anodines, manifeste d’étonnantes aptitudes emblématiques. En même temps il intègre selon ses modalités propres nombre des principaux thèmes abordés sur le plan théorique dans les autres écrits publiés durant la même période.
Vers la fin de celle-ci émerge un centre d’intérêt nouveau, l’analyse d’œuvres picturales, celle d’Albert Ayme en particulier, dont les liens avec l’écriture productrice peuvent être établis, en ce qu’elles manifestent une démarche combinatoire, reposant sur une prise en compte par les artistes des facteurs matériels et structuraux que mobilise leur travail.
En somme, la production des quatre années, théorique pour l’essentiel, frappe à la fois par son ampleur, par la diversité comme la cohérence de ses approches, concrétisant un intense effort de conceptualisation qui débouchera, dès 1978, sur un ouvrage marquant, Nouveaux problèmes du roman, puis, dans la fin des années 80, sur l’élaboration de la textique, dont plusieurs éléments affleurent déjà.
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